Pourquoi l’étalement urbain pose problème et comment y remédier

27 octobre 2025

Chaque kilomètre carré grignoté par la ville n’est jamais rendu à la nature. Quand une métropole s’étire, elle ne fait pas que repousser ses frontières : elle redessine en profondeur l’équilibre entre espaces agricoles, milieux naturels et lieux de vie. L’étalement urbain, cet engrenage où la périphérie dévore le paysage, impose un tribut lourd à la biodiversité, à la qualité de l’air et aux finances publiques.

À mesure que les lotissements et centres commerciaux s’étendent sur les franges de nos villes, les terres agricoles disparaissent. Les espaces naturels se raréfient, grignotés à un rythme soutenu. Ce mouvement, rarement anticipé dans sa globalité, multiplie les besoins en routes, réseaux d’eau, d’électricité et nouveaux équipements : chaque kilomètre gagné sur la campagne se paie au prix fort pour la collectivité.

Immédiatement, c’est le mode de vie qui bascule. Les familles installées en lisière de la ville se retrouvent dépendantes de la voiture. Les embouteillages deviennent monnaie courante. Les émissions de CO2 s’envolent et la qualité de l’air recule encore. Devant cette réalité, difficile d’éviter le besoin de quartiers plus denses, bien desservis et mieux connectés par des transports efficaces.

Comprendre l’étalement urbain

Ce phénomène, c’est une ville qui glisse imperceptiblement sur les terres rurales. Un basculement progressif, rarement contrôlé, qui façonne de nouveaux déséquilibres. François Racine, professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’ESG-UQAM, observe combien les politiques publiques peinent à canaliser cette dynamique effrénée.

Contexte et acteurs

Sur le terrain, plusieurs acteurs s’activent pour décrypter le sujet et proposer des pistes concrètes :

  • François Racine, à l’ESG-UQAM, spécialiste des mécanismes d’urbanisation.
  • Mikael St-Pierre, du Centre d’écologie urbaine de Montréal, anime des initiatives de planification et d’aménagement.
  • Christian Savard, à la tête de Vivre en Ville, dresse un état des lieux détaillé de la réalité territoriale.

Le cœur économique et les services restent massés dans les centres-villes, saturés. Sous cette pression, de nombreux ménages s’exilent toujours plus loin. Sans une évolution profonde des stratégies d’aménagement, comme le souligne Mikael St-Pierre, les effets indésirables ne feront que s’aggraver.

Analyses et perspectives

Année après année, des associations comme Vivre en Ville documentent l’évolution rapide de l’expansion urbaine. On assiste à une fragmentation croissante des espaces naturels, une fuite en avant des émissions de gaz à effet de serre. Les quartiers peu denses qui émergent en périphérie sont loin d’inverser la tendance. Christian Savard alerte : il ne suffit plus de répéter les mêmes solutions, il faut rompre avec les pratiques qui nourrissent la dispersion.

Des urbanistes plaident aujourd’hui pour des alternatives, fondées sur la densification, le rééquilibrage urbain et l’amélioration des transports collectifs pour rapprocher domicile et services.

Conséquences environnementales et sociales

L’expansion urbaine, loin de se réduire à une simple emprise foncière, bouleverse concrètement des villes comme Montréal, Québec, Gatineau, Sherbrooke ou Terrebonne. À Mirabel, dans la MRC de Montcalm ou d’autres secteurs, les terres cultivables reculent au profit des lotissements. Des centaines d’hectares disparaissent ainsi, emportant souvent pour toujours la possibilité de produire localement.

Sur le terrain écologique, l’omniprésence de la voiture se fait sentir. Les trajets quotidiens s’allongent, le bruit gagne, la pollution grimpe. Les couloirs naturels se fragmentent jusqu’à faire reculer la biodiversité de façon parfois irréversible.

Les habitants paient cette évolution d’une autre manière. Dans les zones périphériques, difficile de trouver une école, un médecin, une salle de spectacle sans multiplier les kilomètres. Les déplacements pèsent lourd sur le budget et le temps de vie des familles, creusant les inégalités et alimentant un sentiment de coupure. Plus la ville s’étale, plus elle laisse certains habitants en marge.

Inverser la trajectoire implique de revoir la conception des espaces urbains : densifier de façon réfléchie, encourager les quartiers mixtes, insérer davantage d’espaces verts et multiplier les modes de transport alternatifs pour alléger la pression sur la voiture.

Impact sur la qualité de vie et l’économie

Le mitage urbain finit toujours par s’infiltrer dans le quotidien. Les distances augmentent, les temps de transport aussi : fatigue, stress, perte de temps deviennent la norme. Dans les quartiers éclatés, impossible parfois de vivre sans véhicule, tant les commerces, écoles et services se font rares.

Les finances publiques, elles, encaissent aussi le choc. Étendre les réseaux d’eau, la voirie, l’électricité partout fragmente les budgets municipaux. L’entretien permanent de ces infrastructures éparpillées grève les finances qui pourraient servir ailleurs, là où la densité garantit efficacité et convivialité urbaine.

D’autres modèles émergent pour sortir de ce cercle sans fin. Montréal teste une nouvelle forme de planification urbaine dite Transit-Oriented Development (TOD). Concrètement, il s’agit d’imaginer la ville autour d’axes forts de transport collectif, en mêlant logements, commerces et espaces publics. Ce recentrage multiplie les atouts : moins de voiture, quartiers dynamiques, coûts publics mieux maîtrisés.

Ce type d’innovation prend corps sur le terrain. À Ahuntsic, Louvain Est se transforme sur le site d’une ancienne fourrière, écoquartier où logements durables côtoient des espaces verts pensés pour tous. À Saint-Bruno-de-Montarville, c’est l’ancienne usine Natrel qui change de visage pour accueillir un quartier vivant. Drummondville, enfin, mise sur le projet Fortissimo pour redonner une âme à une zone industrielle oubliée. Chacune de ces initiatives réinvente nos façons de faire la ville, et dessine de nouveaux équilibres économiques.

étalement urbain

Solutions et stratégies d’atténuation

La réalité n’est pas figée : plusieurs stratégies concrètes émergent pour limiter les effets de l’étalement urbain. À Montréal, par exemple, le modèle TOD guide la création de nouveaux quartiers où logements et services s’organisent autour des stations de transport collectif. Ce choix encourage une densité cohérente et diminue la dépendance à la voiture, tout en renforçant le tissu de la vie urbaine.

D’autres axes d’action prennent forme : le développement massif d’espaces verts, porté par des acteurs spécialisés, offre un véritable bol d’air aux citadins. La multiplication de parcs, de jardins partagés ou de toitures végétalisées remet la nature en ville tout en luttant contre les îlots de chaleur.

Dans différentes approches de revitalisation urbaine, des exemples emblématiques montrent la voie vers une densité intelligente et durable :

  • À Ahuntsic, Louvain Est renaît sur une ancienne fourrière, combinant logements écoperformants et larges espaces de verdure.
  • Saint-Bruno-de-Montarville réinvente la friche de l’usine Natrel pour y bâtir un quartier convivial et ouvert.
  • À Drummondville, le projet Fortissimo rend la vie à un site industriel déserté, en l’intégrant pleinement à la trame urbaine actuelle.

Les réflexions portées par François Racine, Christian Savard et leur entourage dessinent une nouvelle culture urbaine. Inscrire le développement durable et la mixité dans chaque projet, injecter du lien social tout en densifiant, c’est offrir une ville plus verte et plus vivable demain. Finalement, l’avenir de la ville se joue à chaque décision d’aménagement : jusqu’où accepterons-nous de laisser la périphérie s’étendre, ou préférerons-nous vraiment rebattre les cartes ?

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